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L’ANCIEN RÉGIME


qu’on le trahit et qu’un étranger lui a pris ses clés saute, à bas du perron, saisit le matelot à la gorge, arrache les clés et les remet à l’officier de garde en disant au peuple : « Je suis votre père, c’est moi qui vous réponds des magasins[1] ». Se commettre avec des crocheteurs et des harengères, se colleter au club, improviser dans les carrefours, aboyer plus haut que les aboyeurs, travailler de ses poings et de son gourdin, comme plus tard la jeunesse dorée, sur les fous et les brutes qui n’emploient pas d’autres arguments et auxquels il faut répondre par des arguments de même nature, monter la garde autour de l’Assemblée, se faire constable volontaire, n’épargner ni sa peau ni la peau d’autrui, être peuple en face du peuple, voilà des procédés efficaces et simples, mais dont la grossièreté leur semble dégoûtante. Il ne leur vient pas à l’idée d’y avoir recours ; ils ne savent ni ne veulent se servir de leurs mains, surtout pour cette besogne[2]. Elles ne sont exercées qu’au duel, et, presque tout de suite, la brutalité de l’opinion va, par des voies de fait, barrer le chemin aux combats polis. Contre le taureau populaire, leurs armes sont des traits de salon, épigrammes, bons mots,

  1. Dumouriez, Mémoires, III, chap. iii (21 juillet 1789).
  2. « Toutes ces belles dames et ces beaux messieurs qui savaient si bien marcher sur les tapis et faire la révérence ne savaient pas faire trois pas sur la terre du bon Dieu sans être accablés de fatigue. Ils ne savaient pas même ouvrir ou fermer une porte ; ils n’avaient pas la force de soulever une bûche pour la mettre dans le feu : il leur fallait des domestiques pour leur avancer un fauteuil ; ils ne pouvaient pas entrer et sortir tout seuls. Qu’auraient-ils fait de leurs grâces, sans leurs valets pour leur tenir lieu de mains et de jambes. » (G. Sand. V, 61.)