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LES MŒURS ET LES CARACTÈRES


ayant décidé que tout ira bien, tout ira bien. — Jamais aveuglement ne fut plus complet et plus volontaire. Le duc d’Orléans offrait de parier cent louis que les États généraux s’en iraient sans avoir rien fait, sans avoir même aboli les lettres de cachet. Quand la démolition sera commencée, bien mieux, quand elle sera faite, ils ne jugeront pas plus juste. Ils n’ont aucune notion de l’architecture sociale ; ils n’en connaissent ni les matériaux, ni les proportions, ni l’équilibre ; ils n’y ont jamais mis la main, ils n’ont point de pratique. Ils ignorent la structure de la vieille fabrique[1] dont ils occupent le premier étage. Ils n’en savent calculer ni les poussées, ni les résistances[2]. Ils finissent par s’imaginer que le mieux est de laisser l’écroulement s’achever, que l’édifice se reconstruira pour eux de lui-même, qu’ils vont rentrer dans leur salon rebâti exprès et redoré à neuf, pour y recommencer l’aimable causerie qu’un accident, un tumulte de rue vient d’interrompre[3]. Si clairvoyants dans le monde, leurs yeux sont obtus en politique. Ils démêlent tout à la lumière artificielle des bougies ; ils se troublent et s’éblouissent à la clarté naturelle du grand jour. C’est que le pli est trop ancien

  1. M. de Montlosier, à l’Assemblée constituante, est presque le seul qui sache le droit féodal.
  2. L’homme instruit et impartial qui soumettrait au calcul les probabilités du succès de la Révolution trouverait qu’il y avait plus de chances contre elle que contre le quine à la loterie ; mais le quine est possible et malheureusement cette fois il fut gagné. » (Duc de Lévis, Souvenirs, 328.)
  3. Corinne, par Mme de Staël : Caractère du comte d’Erfeuil. — Mémoires de Malouet, II, 297. (Exemple mémorable de niaiserie politique.)