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L’ANCIEN RÉGIME


cune force pour lutter. — Et cependant, dans ce monde, on est tenu de lutter si l’on veut vivre. L’empire est à la force dans l’humanité comme dans la nature. Toute créature qui perd l’art et l’énergie de se défendre devient une proie d’autant plus sûre que son éclat, son imprudence et même sa gentillesse la livrent d’avance aux rudes appétits qui rôdent à l’entour. Où trouver la résistance dans un caractère formé par les mœurs qu’on vient de décrire ? — Avant tout, pour se défendre, il faut regarder autour de soi, voir et prévoir, se munir contre le danger. Comment le pourraient-ils, vivant comme ils font ? Leur cercle est trop étroit et trop soigneusement clos. Enfermés dans leurs châteaux et leurs hôtels, ils n’y voient que les gens de leur monde, ils n’entendent que l’écho de leurs propres idées, ils n’imaginent rien au delà ; deux cents personnes leur semblent le public. — D’ailleurs, dans un salon, les vérités désagréables ne sont point admises, surtout quand elles sont personnelles, et une chimère y devient un dogme parce qu’elle y devient une convention. Les voilà donc qui, déjà abusés par l’étroitesse de leur horizon ordinaire, fortifient encore leur illusion par l’illusion de leurs pareils. Ils ne comprennent rien au vaste monde qui enveloppe leur petit monde ; ils sont incapables d’entrer dans les sentiments d’un bourgeois, d’un villageois ; ils se figurent le paysan, non pas tel qu’il est, mais tel qu’ils voudraient le voir. L’idylle étant à la mode, nul n’ose y contredire ; toute autre supposition est fausse parce qu’elle serait pénible, et, les salons