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LES MŒURS ET LES CARACTÈRES


que la comtesse Amélie de Boufflers parlait un peu légèrement de son mari, sa belle-mère lui dit : « Vous oubliez que vous parlez de mon fils. — Il est vrai, maman, je croyais ne parler que de votre gendre ». C’est elle encore qui, au jeu du bateau, obligée de choisir entre cette belle-mère bien-aimée et sa mère qu’elle connaissait à peine, répondit : « Je sauverais ma mère et je me noierais avec ma belle-mère[1] ». La duchesse de Choiseul, d’autres encore, sont des miniatures aussi exquises. Quand le cœur et l’esprit réunissent leurs délicatesses, ils font des chefs-d’œuvre, et ceux-ci, comme l’art, comme la politesse, comme la société qui les entoure, ont un charme que rien ne surpasse, si ce n’est leur fragilité.

III

C’est que, plus les hommes se sont adaptés à une situation, moins ils sont préparés pour la situation contraire. Les habitudes et les facultés qui leur servaient dans l’état ancien leur nuisent dans l’état nouveau. En acquérant les talents qui conviennent aux temps de calme, ils ont perdu ceux qui conviennent aux temps de trouble, et ils atteignent l’extrême faiblesse en même temps que l’extrême urbanité. Plus une aristocratie se polit, plus elle se désarme, et, quand il ne lui manque plus aucun attrait pour plaire, il ne lui reste plus au-

  1. Mme de Genlis, Souvenirs de Félicie, 76, 161,