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LES MŒURS ET LES CARACTÈRES


lité provoquante qu’il laisse percer dans la naïveté fragile de ses ingénues est une friandise pour les goûts libertins qui durent sous les aspirations morales[1]. Après eux, Ducis, Thomas, Parny, Colardeau, Roucher, Delille, Bernardin de Saint-Pierre, Marmontel, Florian, tout le troupeau des orateurs, des écrivains et des politiques, le misanthrope Chamfort, le raisonneur Laharpe, le ministre Necker, les faiseurs de petits vers, les imitateurs de Gessner et de Young, les Berquin, les Bitaubé, tous bien peignés, bien attifés, un mouchoir brodé dans la main pour essuyer leurs larmes, vont conduire l’églogue universelle jusqu’au plus fort de la Révolution. En tête du Mercure de 1791 et 1792 paraissent des Contes moraux de Marmontel[2], et le numéro qui suit les massacres de septembre s’ouvre par des vers « aux mânes de mon serin ».

Par suite, dans tous les détails de la vie privée, la sensibilité étale son emphase. On bâtit dans son parc un petit temple à l’Amitié. On dresse dans son cabinet un petit autel à la Bienfaisance[3]. On porte des robes à

  1. Ce point a été développé avec autant de finesse que de justesse par MM. de Goncourt (l’Art au dix-huitieme siècle, I, 433-438).
  2. Numéro d’août 1792 : « les Rivaux d’eux-mêmes ». — Autres pièces insérées vers le même temps dans le Mercure : « Pacte fédératif entre l’hymen et l’amour, le Jaloux, Romance pastorale, Ode anacréontique à Mlle S. D., etc. »
  3. Mme de Genlis, Adèle et Théodore, I, 312 ; — E. et J. de Goncourt, la Femme au dix-huitième siècle, 318 ; — Mme d’Oberkirch, I, 56. — Description du pour au sentiment de la duchesse de Chartres (E. et J. de Goncourt, 311) : « Au fond est une femme assise dans un fauteuil et tenant un nourrisson, ce qui représente M. le duc de Valois et sa nourrice ; à droite on voit un