Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 1, 1909.djvu/278

Cette page a été validée par deux contributeurs.
248
L’ANCIEN RÉGIME


perdu son plus ancien ami, le président Hénault, venait le jour même souper en grande compagnie : « Hélas ! disait-elle, il est mort ce soir à six heures ; sans cela, vous ne me verriez pas ici. » Sous ce régime continu de distractions et d’amusements, il n’y a plus de sentiments profonds ; on n’en a que d’épiderme ; l’amour lui-même se réduit à « l’échange de deux fantaisies ». — Et, comme on tombe toujours du côté où l’on penche, la légèreté devient une élégance et un parti pris[1]. L’indifférence du cœur est à la mode ; on aurait honte d’être vraiment ému. On se pique de jouer avec l’amour, de traiter une femme comme une poupée mécanique, de toucher en elle un ressort, puis l’autre, pour en faire sortir à volonté l’attendrissement ou la colère. Quoi qu’elle fasse, on ne se départ jamais avec elle de la politesse la plus insultante, et l’exagération même des respects faux qu’on lui prodigue est une ironie par laquelle on achève de lui montrer son détachement. — On va plus loin, et, dans les âmes foncièrement sèches, la galanterie tourne à la méchanceté. Par ennui et besoin d’excitation, par vanité et pour se prouver sa dextérité, on se plaît à tourmenter, à faire pleurer, à déshonorer, à tuer longuement. À la fin, comme l’amour-propre est un gouffre sans fond, il n’y a pas de « noir-

  1. Marivaux, le Petit-maître corrigé. — Grasset, le Méchant. — Crébillon fils, la Nuit et le Moment (notamment la scène de Clitandre avec Lucinde). — Collé, la Vérité dans le vin (rôle de l’abbé avec la présidente). — Besenval, 79 (Le comte de Frise et Mme de Blot). — Vie privée du maréchal de Richelieu (scènes avec Mme Michelin) — E. et J. de Goncourt, 167 à 174.