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LES MŒURS ET LES CARACTÈRES


de Brosses, si grave sur les fleurs de lys, si intrépide dans ses remontrances, si laborieux[1], si érudit, est un boute-en-train merveilleux, un vrai Gaulois, d’une verve étincelante, intarissable en plaisanteries salées : devant ses amis, il ôte sa perruque, sa robe et même quelque chose de plus. Nul ne songe à s’en scandaliser : personne n’imagine qu’un habit doive être un éteignoir, et cela est vrai de tous les habits, en premier lieu de la robe. « Quand je suis entré dans le monde, en 1785, écrit un parlementaire[2], je me suis vu présenter en quelque sorte parallèlement chez les femmes et chez les maîtresses des amis de ma famille, passant la soirée du lundi chez l’une, celle du mardi chez l’autre. Et je n’avais pas dix-huit ans ! Et j’étais d’une famille magistrale ! » À Basville, chez M. de Lamoignon, pendant les vacances de la Pentecôte et de l’automne, il y a chaque jour trente personnes à table ; on chasse trois et quatre fois par semaine, et les plus illustres magistrats, M. de Lamoignon, M. Pasquier, M. de Rosambo, M. et Mme d’Aguesseau, jouent le Barbier de Séville sur le théâtre du château.

Quant à la soutane, elle a les mêmes libertés que la robe. À Saverne, à Clairvaux, au Mans et ailleurs, les prélats la portent aussi gaillardement qu’un habit de cour. Pour la leur coller au corps, il a fallu la tourmente révolutionnaire, puis la surveillance hostile d’un parti organisé et la menace d’un danger continu. Jusqu’en

  1. Foisset, ibid., 185. Six audiences par semaine, et souvent deux par jour, outre ses travaux d’antiquaire, d’historien, de linguiste, de géographe, d’éditeur et d’académicien.
  2. Souvenirs manuscrits, par le chancelier Pasquier.