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LES MŒURS ET LES CARACTÈRES


servilité et le mensonge, mais le respect et le souci des autres, et qui en échange extrait pour lui de la société humaine tout le plaisir qu’elle peut donner.

V

On peut bien comprendre en gros ce genre de plaisir ; mais comment le rendre visible ? Pris en eux-mêmes, les passe-temps du monde ne se laissent pas décrire ; ils sont trop légers ; leur charme leur vient de leurs accompagnements. Le récit qu’on en ferait serait un résidu insipide ; est-ce que le libretto d’un opéra donne l’idée de cet opéra ? — Si vous voulez retrouver ce monde évanoui, cherchez-le dans les œuvres qui en ont conservé les dehors ou l’accent, d’abord dans les tableaux et dans les estampes, chez Watteau, Fragonard et les Saint-Aubin, puis dans les romans et dans les comédies, chez Voltaire et Marivaux, même chez Collé et chez Crébillon fils[1] ; alors seulement on revoit les figures, on entend les voix. Quelles physionomies fines, engageantes et gaies, toutes brillantes de plaisir et d’envie de plaire !

  1. Voir notamment : Saint-Aubin, le Bal paré, le Concert. Moreau, les Élégantes, la Vie d’un seigneur à la mode, les vignettes de la Nouvelle Héloïse. Baudouin, la Toilette, le Coucher de la mariée. Lawreince, Qu’en dit l’abbé ? — Watteau, le premier en date et en talent, transpose ces mœurs, et les peint d’autant mieux qu’il les rend plus poétiques. — Relire entre autres : Marianne, par Marivaux ; la Vérité dans le vin, par Collé ; le Coin du feu, la Nuit et le Moment, par Crébillon fils, et, dans la Correspondance inédite de Mme du Deffand, deux lettres charmantes, l’une de l’abbé Barthélémy, l’autre du chevalier de Boufflers (I, 258, 341).


  anc. rég. i.
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