Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 1, 1909.djvu/248

Cette page a été validée par deux contributeurs.
218
L’ANCIEN RÉGIME


dans son lit entre quatre cierges et de vilains hommes noirs. On était philosophe ; on ne jouait pas l’austérité, on l’avait parfois sans en faire montre. Quand on était sage, c’était par goût et sans faire le pédant ou la prude. On jouissait de la vie, et, quand l’heure était venue de la perdre, on ne cherchait pas à dégoûter les autres de vivre. Le dernier adieu de mon vieux mari fut de m’engager à lui survivre longtemps et à me faire une vie heureuse. »

Avec les femmes surtout, c’est peu d’être poli, il faut être galant. Chez le prince de Conti, à l’Isle-Adam, chaque dame invitée « trouve une voiture et des chevaux à ses ordres ; elle est maîtresse de donner tous les jours à dîner dans sa chambre à sa société particulière[1] ». Mme de Civrac étant obligée d’aller aux eaux, ses amis entreprennent de la distraire pendant le voyage ; ils la devancent de quelques postes, et, dans tous les endroits où elle vient coucher, ils lui donnent une petite fête champêtre, déguisés en villageois, en bourgeois, avec bailli, tabellion et autres masques qui chantent et disent des vers. — Une dame, la veille de Longchamps, sachant que le vicomte de V… a deux calèches, lui en fait demander une ; il en a disposé, mais il se garde bien de s’excuser, et sur-le-champ il en fait acheter une de la plus grande élégance, pour la prêter trois heures : il est trop heureux qu’on veuille bien lui emprunter quelque chose, et sa prodigalité paraît

  1. Mme de Genlis, Souvenirs de Félicie, 77. — Mme Campan, III, 74. — Mme de Genlis, Dictionnaire des Étiquettes, I, 348.