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L’ANCIEN RÉGIME


prédication de Rousseau qui, pendant le dernier tiers du siècle, remet les enfants à la mode, n’a guère d’autre effet. On leur fait réciter leur leçon en public, jouer dans des proverbes, figurer dans des pastorales. On encourage leurs saillies. Ils savent tourner un compliment, inventer une répartie ingénieuse ou touchante, être galants, sensibles et même spirituels. Le petit duc d’Angoulême reçoit Suffren un livre à la main, et lui dit : « Je lisais Plutarque et ses hommes illustres, vous ne pouviez arriver plus à propos[1] ». Les enfants de M. de Sabran, fille et garçon, âgés de huit et neuf ans, ayant reçu des leçons des comédiens Sainval et Larive, viennent à Versailles jouer devant la reine et le roi l’Oreste de Voltaire, et le petit garçon qu’on interroge sur ses auteurs classiques « répond à une dame mère de trois charmantes demoiselles : Madame, je ne puis me souvenir ici que d’Anacréon ». Un autre, du même âge, réplique à une question du prince Henri de Prusse par un agréable impromptu en vers[2]. Faire germer des bons mots, des fadeurs, de petits vers dans un cerveau de huit ans, quel triomphe de la culture mondaine ! C’est le dernier trait du régime qui, après avoir dérobé l’homme aux affaires

  1. Correspondance, par Métra, XIV, 212 ; XVI, 109. — Mme d’Oberkirch, II, 302.
  2. Comte de Ségur, I, 297 :

    « Ma naissance n’a rien de neuf,
    J’ai suivi la commune règle ;
    Mais c’est vous qui sortez d’un œuf,
    Car vous êtes un aigle. »

    Mme de Genlis, Mémoires, chap. iv. Mme de Genlis faisait des vers de ce genre à douze ans.