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LES MŒURS ET LES CARACTÈRES


l’épée, ils ont le chapeau sous le bras, un jabot, un habit à parements dorés ; ils baisent les mains des jeunes demoiselles avec une grâce de petits-maîtres. Une fillette de six ans est serrée dans un corps de baleine ; son vaste panier soutient une robe couverte de guirlandes ; elle porte sur la tête un savant échafaudage de faux cheveux, de coussins et de nœuds, rattaché par des épingles, couronné par des plumes, et tellement haut que souvent « le menton est à mi-chemin des pieds » ; parfois on lui met du rouge. C’est une dame en miniature ; elle le sait, elle est toute à son rôle, sans effort ni gêne, à force d’habitude ; l’enseignement unique et perpétuel est celui du maintien ; on peut dire avec vérité qu’en ce siècle la cheville ouvrière de l’éducation est le maître à danser[1]. Avec lui, on pouvait se passer de tous les autres ; sans lui, tous les autres ne servaient de rien. Car, sans lui, comment faire avec aisance, mesure et légèreté les mille actions les plus ordinaires de la vie courante, marcher, s’asseoir, se tenir debout, offrir le bras, relever l’éventail, écouter, sourire, sous des yeux si exercés et devant un public si délicat ? Pour les hommes et les femmes ce sera plus tard la grande affaire ; c’est pourquoi c’est déjà la grande affaire pour les enfants. Avec les grâces de l’attitude et du geste, ils ont déjà celles de l’esprit et de la parole. À peine leur langue est-elle déliée, qu’ils parlent le langage poli, celui de leurs parents. Ceux-ci jouent avec eux et en font des poupées charmantes ; la

  1. Lesage, Gil Blas, discours du maître à danser chargé de l’éducation du fils du comte d’Olivarès.