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LES MŒURS ET LES CARACTÈRES


dont je me souciais fort peu ; j’entretenais la petite Eugénie, que j’aimais beaucoup ; je jouais gros jeu, je faisais ma cour au roi, et je chassais très exactement avec lui[1]. » Du reste, il avait pour autrui l’indulgence dont il avait besoin lui-même. « On lui demandait ce qu’il répondrait à sa femme (qu’il n’avait pas vue depuis dix ans), si elle lui écrivait : Je viens de découvrir que je suis grosse. Il réfléchit et répondit : Je lui écrirais : Je suis charmé que le ciel ait enfin béni notre union ; soignez votre santé, j’irai vous faire ma cour ce soir. » — Il y a vingt réponses semblables, et j’ose dire qu’avant de les avoir lues on n’imagine pas à quel point l’art social peut dompter l’instinct naturel.

« Ici, à Paris, écrit Mme d’Oberkirch, je ne m’appartiens plus, j’ai à peine le temps de causer avec mon mari et de suivre mes correspondances. Je ne sais comment font les femmes dont c’est la vie habituelle ; elles n’ont donc ni famille à entretenir, ni enfants à élever ? » — Du moins elles font comme si elles n’en avaient pas, et les hommes de même. Des époux qui ne

  1. Duc de Lauzun, 51. — Chamfort, 39. — « Le duc de…, dont la femme venait de faire un scandale, s’est plaint à sa belle-mère ; celle-ci lui a répondu avec le plus grand sang-froid : Eh ! Monsieur, vous faites bien du bruit pour peu de chose. Votre père était de bien meilleure compagnie. » (Mme d’Oberkirch, II, 135, 241.) — « Un mari disait à sa femme : Je vous permets tout, hors les princes et les laquais. Il était dans le vrai, ces deux extrêmes déshonorent par leur scandale. » (Sénac de Meilhan, Considérations sur les mœurs.) — Un mari surprenant sa femme lui dit simplement : « Quelle imprudence, madame ! si c’était un autre que moi ! » (E. et J. de Goncourt, la Femme au dix-huitième siècle, 201.)