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LES MŒURS ET LES CARACTÈRES


même « ridicule », en tout cas inconvenant : il eût choqué comme un a parte sérieux dans le courant général de la conversation légère. On se devait à tous, et c’était s’isoler à deux ; en compagnie, on n’a pas droit au tête-à-tête[1]. À peine si, pour quelques jours, il était permis à deux amants[2]. Encore était-il mal vu : on les trouvait trop occupés l’un de l’autre. Leur préoccupation répandait autour d’eux « la contrainte et l’ennui ; il fallait s’observer, se retenir en leur présence. » On les « craignait ». Le monde avait les exigences d’un roi absolu et ne souffrait pas de partage. « Si les mœurs y perdaient, dit un contemporain, M. de Besenval, la société y gagnait infiniment ; débarrassée de la gêne et du froid qu’y jette toujours la présence des maris, la liberté y était extrême ; la coquetterie des hommes et des femmes en soutenait la vivacité et fournissait journellement des aventures piquantes. » Point de jalousie, même dans l’amour. « On se plaît, on se prend ; s’ennuie-t-on l’un avec l’autre, on se quitte avec aussi peu de peine qu’on s’est pris. Revient-on à se plaire, on se reprend avec autant de vivacité que si c’était la première fois qu’on s’engageât ensemble. On se quitte encore, et jamais on ne se brouille. Comme on s’est pris sans s’aimer, on se sépare sans se haïr,

  1. Besenval, 49, 60. — « Sur vingt seigneurs de la cour, il y en a quinze qui ne vivent point avec leurs femmes et qui ont des maîtresses. Rien même n’est si commun à Paris entre particuliers. » (Barbier, IV, 496.)
  2. Ne soyez point époux, ne soyez point amant,
    Soyez l’homme du jour et vous serez charmant.


  anc. rég. i.
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