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LES MŒURS ET LES CARACTÈRES


rellement et sans qu’il s’en mêle, un homme de ce monde trouve de l’or dans ses poches, un habit galant sur sa toilette, des valets poudrés dans son antichambre, un carrosse doré à sa porte, un dîner délicat sur sa table, et qu’il puisse réserver toute son attention pour la dépenser en grâces avec les hôtes de son salon. Un pareil train ne va pas sans gaspillage, et les domestiques, livrés à eux-mêmes, font leur main. Qu’importe, s’ils font leur service ? D’ailleurs, il faut bien que tout le monde vive, et il est agréable d’avoir autour de soi des visages obséquieux et contents. — C’est pourquoi les premières maisons du royaume sont au pillage. Un jour à la chasse[1], Louis XV, ayant avec lui le duc de Choiseul, lui demanda combien il croyait que coûtait le carrosse où ils étaient assis. M. de Choiseul répondit qu’il se ferait bien fort d’en avoir un pareil pour 5000 ou 6000 livres, mais « que Sa Majesté, payant en roi et ne payant pas toujours comptant, devait le payer 8000. — Vous êtes loin de compte, répartit le roi, car cette voiture, telle que vous la voyez, me revient à 30 000 francs… Les voleries dans ma maison sont énormes, mais il est impossible de les faire cesser ». — En effet, les grands tirent à eux comme les petits, soit en argent, soit en nature, soit en services. Il y a chez le roi cinquante-quatre chevaux pour le grand écuyer ; il y en a trente-huit pour Mme de Brionne qui gère une charge d’écurie pendant la minorité de son fils ; il y a

  1. Baron de Besenval, Mémoires, II, 206. Anecdote racontée par le duc de Choiseul.