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L’ANCIEN RÉGIME


commandant ou de l’intendant, et rencontré en visite quelques dames de Versailles ; c’est pourquoi « ils ont toujours quelque habitude des grandes manières, et sont à peu près instruits des vicissitudes de la mode et du costume ». Le plus sauvage descend, le chapeau à la main, jusqu’au bas de son perron pour reconduire ses hôtes en les remerciant de la grâce qu’ils lui ont faite. Le plus rustre, auprès d’une femme, retrouve au fond de sa mémoire quelques débris de la galanterie chevaleresque. Le plus pauvre et le plus retiré ménage son habit bleu-de-roi et sa croix de Saint-Louis pour pouvoir, à l’occasion, présenter ses devoirs au grand seigneur son voisin ou au prince qui est de passage. — Ainsi l’état-major féodal s’est transformé tout entier, depuis ses premiers jusqu’à ses derniers grades. Si l’on pouvait embrasser du regard ses trente ou quarante mille palais, hôtels, manoirs, abbayes, quel décor avenant et brillant que celui de la France ! Elle est un salon et je n’y vois que des gens de salon. Partout les chefs rudes ayant autorité sont devenus des maîtres de maison ayant des grâces. Ils appartiennent à cette société où, avant d’admirer tout à fait un grand général, on demandait « s’il était aimable ». Sans doute ils portent encore l’épée, ils sont braves par amour-propre et tradition, ils sauront se faire tuer, surtout en duel et dans les formes. Mais le caractère mondain a recouvert l’ancien fond militaire ; à la fin du dix-huitième siècle, leur grand talent est le savoir-vivre, et leur véritable emploi consiste à recevoir ou à être reçus.