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L’ANCIEN RÉGIME


revient dans sa chambre pour se mettre au lit. « Tous les soirs pendant six ans, dit un page[1], moi ou mes camarades nous avons vu Louis XVI se coucher en public », avec le cérémonial décrit tout à l’heure. « Je ne l’ai pas vu suspendre dix fois, et alors c’était toujours par accident ou pour cause d’indisposition. » L’assistance est plus nombreuse encore quand il dîne et soupe ; car, outre les hommes, il y a les femmes, les duchesses sur des pliants, les autres debout autour de la table. Je n’ai pas besoin de dire que le soir, à son jeu, à son bal, à son concert, la foule afflue et s’entasse. Lorsqu’il chasse, outre les dames à cheval et en calèche, outre les officiers de vénerie, les officiers des gardes, l’écuyer, le porte-manteau, le porte-arquebuse, le chirurgien, le renoueur, le coureur de vin, et je ne sais combien d’autres, il a pour invités à demeure tous les gentilshommes présentés. Et ne croyez pas que cette suite soit mince[2] : le jour où M. de Chateaubriand est présenté, il y en a quatre nouveaux, et « très exactement » tous les jeunes gens de grande famille viennent deux ou trois fois par semaine se joindre au cortège du roi. — Non seulement les huit ou dix scènes qui composent chacune de ses journées, mais encore les courts intervalles qui séparent une scène de l’autre, sont assiégés et accaparés. On l’attend, on l’accompagne et

  1. Comte d’Hézecques, ibid., 7.
  2. Duc de Lauzun, Mémoires, 51. — Mme de Genlis, Mémoires, ch. xii : « Tous nos maris allaient régulièrement coucher ce jour-là (le samedi) à Versailles pour chasser le lendemain avec le roi. »