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LA STRUCTURE DE LA SOCIÉTÉ


particulier. C’est seulement à la fin de 1788[1] que le fameux salon du Palais-Royal, « avec une hardiesse et une déraison inimaginables, prétend que, dans une véritable monarchie, les revenus de l’État ne doivent pas être à la disposition du souverain, qu’il doit seulement lui être accordé une somme assez considérable pour les charges de sa maison, ses dons et les grâces de ses serviteurs, ainsi que pour ses plaisirs, que le surplus doit être déposé au Trésor royal pour n’y être employé qu’aux objets sanctionnés par l’Assemblée de la Nation ». Réduire le prince à une liste civile, mettre la main sur les neuf dixièmes de son revenu, lui interdire les acquits au comptant, quel attentat ! La surprise ne serait pas plus grande, si aujourd’hui l’on proposait de faire deux parts dans le revenu de chaque millionnaire, de lui en accorder la plus mince pour son entretien, de mettre la plus grosse à la caisse des consignations pour ne la dépenser qu’en œuvres d’utilité publique. Un ancien fermier général, homme d’esprit et sans préjugés, écrit sérieusement pour justifier l’achat de Saint-Cloud : « C’était une bague au doigt de la reine ». À la vérité, la bague coûtait 7 700 000 francs. Mais « le roi de France avait alors 477 millions de rente. Que dirait-on d’un particulier qui aurait 477 000 livres de rente, et qui, une fois dans sa vie, donnerait à sa femme pour 7 000 ou 8 000 livres de diamants ?[2] » On

  1. Gustave III et la cour de France, par Geffroy, II, 474. (Archives de Dresde, correspondance de France, 20 novembre 1788.)
  2. Agear, du Mémoires, 133.