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L’ANCIEN RÉGIME

IV

À la fin le troupeau écorché découvrira ce qu’on fait de sa laine. « Tôt ou tard[1], dit un Parlement dès 1764, le peuple apprendra que les débris de nos finances continuent d’être prodigués en dons si souvent peu mérités, en pensions excessives et multipliées sur les mêmes têtes, en dots et assurances de douaires, en places et appointements inutiles. » Tôt ou tard, il repoussera « ces mains avides qui toujours s’ouvrent et ne se croient jamais pleines, ces gens insatiables qui ne semblent nés que pour tout prendre et ne rien avoir, gens sans pitié comme sans pudeur ». — Et ce jour-là les écorcheurs se trouveront seuls. Car le propre d’une aristocratie qui ne songe qu’à soi est de devenir une coterie. Ayant oublié le public, elle néglige par surcroît ses subordonnés ; après s’être séparée de la nation, elle se sépare de sa suite. C’est un état-major en congé qui fait bombance et ne prend plus soin des sous-officiers ; vienne un jour de bataille, personne ne marche après lui, on cherche des chefs ailleurs. Tel est l’isolement des seigneurs de cour et des prélats au milieu de la petite noblesse et du bas clergé ; ils se font la part trop grosse, et ne donnent rien ou presque rien aux gens qui ne sont pas de leur monde. Contre eux, depuis un siècle, un long murmure s’élève et va s’enflant jusqu’à devenir

  1. Le président de Brosses, par Foisset. (Remontrances au roi par le Parlement de Dijon, le 19 janvier 1764.)