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L’ANCIEN RÉGIME


tout détruire jusqu’au pied des maisons… À cause du gibier, le citoyen n’est pas même libre dans le cours de l’été d’aller retirer les mauvaises herbes qui étouffent le grain et qui gâtent les semences… Combien de femmes restées sans mari et d’enfants sans père pour un malheureux lièvre ou lapin ! » Les gardes de la forêt de Gouffern en Normandie « sont si terribles, qu’ils maltraitent, insultent et tuent les hommes… Je connais des fermiers qui, ayant plaidé contre la dame pour se faire indemniser de la perte de leurs blés, ont perdu leur temps, leur moisson, et les frais du procès… On voit des cerfs et des biches errer auprès de nos maisons en plein jour. » Dans le bailliage de Domfront, « les habitants de plus de dix paroisses sont obligés de veiller la nuit entière pendant plus de six mois de l’année pour la conservation de leurs moissons[1] ». — Voilà l’effet du droit de chasse en province. Mais c’est dans l’Île-de-France, où les capitaineries abondent et vont s’élargissant, que le spectacle en est le plus lamentable. Un procès-verbal

  1. Boivin-Champeaux, ib., 48. — Renauldon, 26, 416. — Procès-verbaux manuscrits des États généraux (Archives nationales), t. CXXXII, 896 et 901. — Hippeau, le Gouvernement de Normandie, VII, 61, 74. — Paris, la Jeunesse de Robespierre, 314 à 324. — Essai sur les capitaineries royales et autres (1789), passim. — L. de Loménie, Beaumarchais et son temps, 1, 125. Beaumarchais, ayant acheté la charge de lieutenant général des chasses aux bailliages de la garenne du Louvre (douze à quinze lieues de rayon), jugeait à ce titre les délinquants. Le 15 juillet 1766, il condamne Ragondet, fermier, à cent livres d’amende et à démolir ses murs de clôture et son hangar, nouvellement bâtis sans autorisation, comme pouvant gêner les plaisirs du roi.