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L’ANCIEN RÉGIME


cave du château ; « sur cent justices, il n’y en a pas une qui soit en règle du côté des prisons » ; ses gardiens ferment les yeux ou tendent la main. C’est pourquoi « ses terres deviennent l’asile de tous les scélérats du canton ». — Terrible effet de son indifférence et qui va se retourner contre lui-même : demain, au club, les procureurs qu’il a multipliés demanderont sa tête, et les bandits qu’il a tolérés la mettront au bout d’une pique.

Reste un point, la chasse, où sa juridiction est encore active et sévère, et c’est justement le point où elle se trouve le plus blessante. Jadis, quand la moitié du canton était en forêts ou en friches et que les grosses bêtes ravageaient l’autre moitié, il avait raison de s’en réserver la poursuite ; cela rentrait dans son office de capitaine local. Il était le grand gendarme héréditaire, toujours armé, toujours à cheval, aussi bien contre les sangliers et les loups que contre les rôdeurs et les brigands. À présent que du gendarme il n’a plus que le titre et les épaulettes, il maintient par tradition son privilège et d’un service il fait une vexation. Il faut qu’il chasse et soit seul à chasser ; c’est pour lui un besoin du corps et en même temps un signe de race. Un Rohan, un Dillon courent le cerf même quand ils sont d’Église, malgré les édits et malgré les canons. « Vous chassez beaucoup, Monsieur l’Évêque, disait Louis XV[1] à ce dernier ; j’en sais quelque chose. Comment voulez-vous interdire la chasse à vos curés, si

  1. Beugnot, Mémoires, I, 35.