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LA STRUCTURE DE LA SOCIÉTÉ


compter comme une occupation de comptable. Elle est fière de sa négligence, elle appelle cela vivre noblement[1]. « Monsieur l’archevêque, disait Louis XVI à M. de Dillon, on prétend que vous avez des dettes, et même beaucoup. — Sire, répondit le prélat avec une ironie de grand seigneur, je m’en informerai à mon intendant, et j’aurai l’honneur d’en rendre compte à Votre Majesté. » — Le maréchal de Soubise a cinq cent mille livres de rente qui ne lui suffisent pas. On sait les dettes du cardinal de Rohan, du comte d’Artois ; leurs millions de revenu se perdaient en vain dans ce gouffre. Le prince de Guéméné vient de faire une faillite de trente-cinq millions. Le duc d’Orléans, le plus riche propriétaire du royaume, devait à sa mort soixante-quatorze millions. Quand, sur les biens des émigrés, il fallut payer leurs créanciers, il fut avéré que la plupart des grandes fortunes étaient vermoulues d’hypothèques[2]. Quiconque a lu les mémoires sait que depuis deux cents ans, pour boucher leurs vides, il a fallu des mariages d’argent et les bienfaits du roi. — C’est pourquoi, à l’exemple du roi lui-même, ils ont fait argent de tout, notamment des places dont ils disposent, et, lâchant

  1. Beugnot, Mémoires, I, 136. — Duc de Lévis, Souvenirs et portraits, 156. — Moniteur, séance du 22 novembre 1872, Discours de M. Bocher : « D’après l’état dressé par ordre de la Convention, la fortune du duc d’Orléans se composait de soixante-quatorze millions de dettes et de cent quatorze d’actif. » Le 8 janvier 1792, il avait abandonné à ses créanciers trente-huit millions de ses biens pour se libérer.
  2. En 1785, le duc de Choiseul évaluait dans son testament ses biens à quatorze millions et ses dettes à dix. (Comte de Tilly, Mémoires, II, 215.)