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LA STRUCTURE DE LA SOCIÉTÉ


ayant beaucoup voyagé en Angleterre, et encore à condition qu’on le demandât. La noblesse française n’a pas plus l’idée de se livrer à l’agriculture ou d’en faire un sujet de conversation, sauf en théorie, et comme on parlerait d’un métier ou d’un engin de marine, que de toute autre chose contraire à ses habitudes et à ses occupations journalières. » Par tradition, mode et parti pris, ils ne sont et ne veulent être que gens du monde ; leur seule affaire est la causerie et la chasse. Jamais conducteurs d’hommes n’ont tellement désappris l’art de conduire les hommes, art qui consiste à marcher sur la même route, mais en tête, et à guider leur travail en y prenant part. — Notre Anglais, témoin oculaire et compétent, écrit encore : « Un grand seigneur eût-il des millions de revenu, vous êtes sûr de trouver ses terres en friches. Celles du prince de Soubise et celles du duc de Bouillon sont les plus grandes de France, et tous les signes que j’ai aperçus de leur grandeur sont des bruyères, des landes, des déserts, des fougeraies. Visitez leur résidence où qu’elle soit, et vous les verrez au milieu des forêts très peuplées de cerfs, de sangliers et de loups ». — « Les grands propriétaires, dit un autre contemporain[1], attirés et retenus dans nos villes par les jouissances du luxe, ne connaissent rien de leurs terres », sauf « leurs fermiers qu’ils foulent pour fournir à un faste ruineux. Comment attendre des améliorations de ceux qui se

  1. De l’état religieux, par les abbés de Bonnefoi et Bernard, (1784), 287, 291.