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LA STRUCTURE DE LA SOCIÉTÉ


que mènent les garennes, les landes, les déserts que j’ai traversés pendant trois cents milles ! — D’un bond vous passez de la misère à la prodigalité. La campagne est déserte, et si quelque gentilhomme l’habite, c’est dans quelque triste bouge, pour épargner cet argent qu’il vient ensuite jeter dans la capitale. » — « Un coche[1], dit M. de Montlosier, partait toutes les semaines des principales villes de province pour Paris, et n’était pas toujours plein : voilà pour le mouvement des affaires. On avait une seule gazette, appelée Gazette de France, qui paraissait deux fois par semaine, voilà pour le mouvement des esprits. » Des magistrats de Paris, exilés à Bourges en 1753 et 1754, en font le tableau suivant « Une ville où l’on ne trouve personne à qui parler à son aise de quoi que ce soit de sensé et de raisonnable ; des nobles qui meurent les trois quarts de faim, entichés de leur origine, tenant à l’écart la robe et la finance, et trouvant singulier que la fille d’un receveur des tailles, devenue la femme d’un conseiller au Parlement de Paris, se permette d’avoir de l’esprit et du monde ; des bourgeois de l’ignorance la plus crasse, seul appui de l’espèce de léthargie où sont plongés les esprits de la plupart des habitants ; des femmes bigotes et prétentieuses, fort adonnées au jeu et à la galanterie[2] » ; dans ce monde étriqué et engourdi, parmi ces MM. Tibaudier le conseiller et

  1. Mémoires de M. de Montlosier, I, 161
  2. Comptes rendus de la société du Berry, Bourges en 1753 et 1754, 273.