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voyants et riches, empruntés aux cinq ou six nations voisines, brodés, dorés, bariolés, incessamment exagérés et remplacés par d’autres ; il y a un carnaval dans leur tête comme sur leur dos.

Avec de pareils spectateurs, on peut produire l’illusion sans se donner beaucoup de peine : point d’apprêts, de perspective ; peu ou point de décors mobiles : leur imagination en fait tous les frais. Un écriteau en grosses lettres indique au public qu’on est à Londres ou à Constantinople ; et cela suffit au public pour se transporter à l’endroit voulu. Nul souci de la vraisemblance : « Vous avez l’Afrique d’un côté, dit sir Philip Sidney, et l’Asie de l’autre, avec une si grande quantité d’États secondaires, que l’acteur, quand il entre, est toujours obligé de vous dire d’abord où il est ; autrement on n’entendrait rien à son histoire. Puis voici trois dames qui se promènent pour cueillir des fleurs, et là-dessus nous devons croire que la scène est un jardin. Un peu après, nous entendons parler au même endroit d’un naufrage, et notre devoir est d’accepter ce même endroit pour un rocher.... Arrivent deux armées représentées par quatre épées et un bouclier, et quel est le cœur si dur qui refuserait de prendre cela pour une bataille rangée ? Quant au temps, ils sont encore plus libéraux. D’ordinaire, un jeune prince et une jeune princesse tombent amoureux l’un de l’autre ; après beaucoup de traverses, elle devient grosse, accouche d’un beau garçon ; le garçon est perdu, devient homme, et prêt à engendrer un autre garçon.... Tout cela en deux heures. » Sans doute, ces énormités s’atténuent un peu sous Shakespeare ; avec quelques tapisseries, quelques grossières imitations d’animaux, de tours, de forêts, on aide un peu l’imagination du public. Mais en somme, chez