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PRÉFACE 9

appellent des mouvements, et qui, de leur nature, sont toujours en train de périr et de naître. A côté de la gerbe lumineuse qui est nous-mêmes, il en est d’autres analogues qui composent le monde corporel, différentes d’aspect, mais les mêmes en nature, et dont les jets étages remplissent, avec la nôtre, l’im- mensité de l’espace et du temps. Une infinité de fusées, toutes de même espèce, qui, à divers degrés de complication et de hauteur, s’élancent et re- descendent incessamment et éternellement dans la noirceur du vide, voilà les êtres physiques et moraux ; chacun d’eux n’est qu’une ligne d’événe- ments dont rien ne dure que la forme, et l’on peut se représenter la nature comme une grande aurore boréale. Un écoulement universel , une succession intarissable de météores qui ne flamboient que pour s’éteindre et se rallumer et s’éteindre encore sans trêve ni fin, tels sont les caractères du monde ; du moins, tels sont les caractères du monde au premier moment de la contemplation, lorsqu’il se réfléchit dans le petit météore vivant qui est nous-mêmes, et que, pour concevoir les choses, nous n’avons que nos perceptions multiples indéfiniment ajoutées bout à bout. — Mais il nous reste un autre moyen de com- prendre les choses, et, à ce second point de vue qui complète le premier, le monde prend un aspect dif- férent. Par l’abstraction et le langage, nous isolons des formes persistantes, des lois fixes, c’est-à-dire des couples d’universaux soudés deux à deux, non par acci- dent, mais par nature, et qui, en vertu de leur liaison