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Conversation avec Mlle Jeanne C…, qui est dans un couvent de Strasbourg, une succursale des Oiseaux. Elle a treize ans ; c’est une fleur en bouton ; elle est mince, grande. Le soir, à table, muette, les yeux baissés, fine et svelte dans son joli corsage, elle a l’air d’un oiseau ; c’est l’étrange charme de la virginité, de la nouveauté de l’âme, de l’esprit qui n’ose encore s’ouvrir, mais qui a l’infini devant lui. Le lendemain, après cinq heures de promenade, elle se familiarise et bavarde : c’est à la fois une enfant et un petit garçon. On prend là, sur le fait, la naissance et la chute de l’illusion.

Ce couvent est si bon qu’elle voit avec plaisir arriver la fin des vacances. Les religieuses sont toutes maternelles ; on les appelle ma mère et la supérieure maman. Elles punissent très peu, et alors elles en semblent toutes chagrines. La plus grande punition est de ne plus porter la ceinture (il y a une ceinture pour chaque classe, rouge, jaune, bleue, blanche). Une fois on a dû employer une punition terrible ; la faute était si grave qu’on ne l’a jamais connue. La criminelle a été obligée