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Ce qui m’a charmé, c’est qu’on voit dans ces statues une aurore de l’art. Les hommes ont laissé derrière eux l’imbécillité monacale du Moyen âge, la niaiserie hiératique des sculpteurs de Chartres, qui font les têtes inertes et grandes comme un quart du corps. Ils savent les proportions, ils sont maîtres de leur outil, et voici que, pour la première fois, ils découvrent l’homme : tout ce qu’expriment une attitude, un froissement du manteau, un type de tête, un mouvement du corps, ils le fixent à la hâte, énergiquement, avec une naïveté et une joie d’inventeurs. Mais comme on sent bien qu’ils ne copient pas, qu’ils inventent ! Pas de type adopté ; ils ont les choses réelles devant les yeux, et ils en tirent toutes les variétés de la figure et de l’attitude humaine. — Voyez le sourire méchant, étrange, de convoitise dangereuse, chez telle vierge folle ; l’honnêteté un peu lourde et foncière, dans la tête carrée de telle vierge sage. Plusieurs sont vraiment nobles quoique vivantes ; ils trouvent l’idéal : non pas un seul idéal, non pas d’après l’antique, mais d’après les plaisirs nouveaux de leurs yeux et de leur cœur.