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prairies devient délicat et tendre, souvent d’un jaune pâle comme les premières pousses printanières, parfois d’un éclat délicieux mais fugitif comme l’épanouissement d’une fleur. Tous les tons du sol sont forts : maisons blanches et rouges, toits noircis, rangées de sapins sombres ; par contraste, le ciel, chargé de nues pluvieuses, est brun ou d’un jaune épais de poussière mouillée ; des brouillards lointains pendent comme des ardoises imbibées, — des brouillards voisins élèvent, vers le soir, leur gaze immobile à mi-côte. L’herbe incessamment arrosée promet de ne jamais se flétrir. Çà et là, on aperçoit une rivière dormante, avec de longues nappes luisantes, noirâtres et tranquilles comme celles d’un étang, et qui réfléchissent le ciel comme une glace. — La figure et la taille des hommes ont changé ; ils sont plus grands, moins vifs, moins gais, moins familiers. — De ce vert et de cette humidité universelle, de ces sapins et de ces montagnes, sort l’idée d’une vie plus grave et plus triste. On frissonne doucement en pensant à l’hiver, on se met en défense et l’on aime sa maison.