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tendances instinctives et ses souvenirs d’école. Mais c’est surtout la sculpture dont la barbarie est extraordinaire. Plusieurs têtes ont le tiers et même la moitié du corps. Dans l’ascension du Christ, elles sont piteuses et grotesques et donnent l’idée d’une caricature. Dans le massacre des Innocents, les bourreaux dans leurs cottes de mailles ont l’air de bêtes velues avec des têtes de mouton ; et il faut voir l’air godiche des mères, le pêle-mêle et l’entassement de tous ces corps, l’enchevêtrement de l’ignorance et de la fantaisie, les trois chevaux des rois Mages superposés et collés les uns dans les autres, les expressions de grenouilles ahuries. — Et pourtant, dans cette foule et cette abondance, on sent la ferveur qui à cette époque multiplie les légendes des saints. Quelques grandes figures aux angles d’un pilier, surtout au coin de la citerne un saint, squelette desséché, aux épaules rentrées, tombantes, presque sans joues et sans menton, au front tout petit, les yeux seuls faisant tout le visage, comme un fakir hébété et exalté par l’extase, raidi dans ses os ankylosés comme un ascète indien ; à