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le spectacle de tous ces vivants, cité héroïque incessamment assiégée par les éléments bruts, où les combattants à mesure qu’ils tombent sont remplacés, où, sous le soleil pacifique, indifférent, se joue avec des sanglots et des cris d’admiration la tragédie éternelle de la vie. Comme je l’ai eu, ce sentiment, une fois déjà cette année à Florence[1] ! Cette humanité dont nous sommes les fils et qui vit en chacun de nous, est une Niobé dont les enfants tombent incessamment sous les flèches des archers invisibles ; les fils et les filles blessés s’abattent et palpitent ; les plus jeunes cachent leur tête dans la robe de leur mère ; l’une, encore vivante, lève des bras inutiles vers les meurtriers célestes. Elle, froide et raidie, se redresse sans espérance et, élevée un instant au-dessus des sentiments humains, elle aperçoit avec admiration et avec horreur le nimbe éblouissant et funéraire, les bras tendus, les flèches inévitables, l’implacable sérénité des dieux.

  1. Voyez Voyage en Italie, t. II, p. 80.