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Nous marchons une demi-heure sur une crête, foulant un fin gazon parmi des thyms, des genévriers, le long d’un bois rabougri, sous un soleil tiède et un ciel qui se voile de vapeurs moites. En face sont deux montagnes charmantes, boisées jusqu’au sommet, deux beaux cônes d’un vert sombre qui montent entre les grosses lourdes montagnes à pâturages et détachent leur noirceur sur la verdure pâle. Le ciel luit doucement au-dessus, avec ce sourire incertain et tendre des cieux d’automne.

Il n’y a que les dieux pour exprimer les choses ; chaque paysage en produit un ; je remonte toujours à mes anciens, pour y trouver l’expression achevée, vraie, des sensations sourdes qui bourdonnent alors dans mon âme. Il me faudrait ici quelqu’un de ces poètes primitifs pour évoquer la déesse de ces montagnes, de ce vert si doux, de cette fraîcheur intarissable. Impossible d’exprimer la grâce, la jeunesse éternelle de ces pyramides verdoyantes et vierges, où seules les forêts habitent, où rien n’a vécu, sauf les forêts, depuis le premier jour.