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pathies personnelles, les flèches de sa verve éperdument acérée, et je ne me donnerai pas le ridicule d’avoir un avis sur la forme poétique qu’il a menée, en grand artiste, à sa perfection.

Les poètes d’une génération sont les plus malvenus à juger ceux de la génération qui les suit. À tout ce qui nous paraît démodé dans ceux qui nous ont précédés, nous pouvons deviner l’impression qu’ont de nous ceux qui nous suivent. C’est que la langue poétique n’est pas une terre égale dont chacun défriche, à son tour, un carré : c’est un fleuve dont le cours nous emporte et qui, d’un point à un autre, ne reflète ni les mêmes rives, ni le même ciel. Nous n’avons donc aucun élément pour apprécier, dans sa justesse, la vision de ceux qui y voguent en aval ou en amont de nous. D’un bout du siècle à l’autre, les poètes ne se peuvent pas plus comprendre que des gens ne parlant pas le même idiome.

Nous qui avons fait des vers, nous sommes