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gênent et qui, pour ainsi dire, nous emprisonnent lorsque nous parlons aux juges ? combien le discours ne perd-il pas d’énergie dans ces auditoires, dans ces greffes où maintenant se plaident la plupart des causes ? Ainsi que les nobles coursiers demandent de l’espace pour s’élancer dans la lice, de même il faut à l’orateur un champ où il s’avance sans contrainte et sans gêne : sinon son éloquence se débilite et tombe. Et bien plus, les soins et les peines que nous prenons pour orner le style tournent contre nous-mêmes, parce que souvent le juge interroge quand on va commencer : sa question force alors à un tout autre début. Fréquemment l’avocat s’interrompt pour ouïr preuves et témoins : sur ce, il ne lui reste qu’un ou deux auditeurs, et la cause se plaide comme en un désert. Or, il faut à l’orateur acclamations, applaudissemens et théâtre, avantages qu’avaient chaque jour les anciens orateurs, alors que tant et de si nobles personnages encombraient le Forum, alors que les clientelles, les tribus et même les envoyés des municipes et une partie de l’Italie venaient soutenir des accusés en péril, alors qu’en la plupart des affaires le peuple romain pensait que ce qui allait être jugé était sa propre cause. On sait assez que, dans les accusations et les défenses de C. Cornelius, de M. Scaurus, de T. Milon, de L. Bestia, de P. Vatinius, la ville entière accourut et y prit une telle pari, que le choc même des affections du peuple eût pu exciter et enflammer les orateurs les plus froids. Aussi, grands dieux, de tels plaidoyers n’ont pas péri, et ceux qui les ont prononcés n’ont point de plus beaux titres au barreau.