Page:Tacite - Oeuvres complètes, trad Panckoucke, 1833.djvu/391

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mule, d’un interdit, ou bien des brigues des comices, de nos alliés mis au pillage, de nos concitoyens égorgés : ces maux, il est sans doute mieux qu’ils n’arrivent pas, et l’état le plus parfait de la ville est celui où l’on n’a rien à souffrir de tel ; mais enfin, quand ils avaient lieu, ils fournissaient une ample matière à l’éloquence ; car avec la grandeur des choses s’accroît la force du génie ; et personne ne peut produire un discours remarquable et cligne d’illustration, s’il n’a trouvé un sujet qui l’inspire. Je ne pense pas que Démosthène se soit illustré par ses discours composés contre ses tuteurs, ni que Cicéron soit devenu un grand orateur par sa défense de P. Quintius ou de Licinius Archias : c’est Catilina, et Milon, et Verres, et Antoine, qui l’ont environné de toute cette gloire. Non pas qu’il fût heureux pour la république d’avoir produit ces mécbans citoyens, pour que les orateurs eussent une matière abondante à leurs discours ; mais, je vous en préviens encore, n’oublions pas la question, et sachons bien qu’il s’agit d’un art qui puise principalement sa vie dans les temps de trouble et d’inquiétude. Qui ne sait qu’il est meilleur et plus utile de jouir de la paix que d’être agité par la guerre ? cependant les guerres produisent plus de grands capitaines que la paix. L’éloquence est sous une loi semblable : car, plus elle se sera présentée comme pour un combat, plus elle aura porté et reçu de coups, plus son adversaire aura été grand et vigoureux, plus elle l’aura engagé à de rudes assauts ; plus aussi elle aura acquis d’élévation et de sublimité, plus elle se sera ennoblie en ces périls aux yeux des hommes, dont la nature est de ne vouloir pas le calme.