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et à fouler aux pieds l’art de la poésie. Il a mitigé son arrêt avec un certain art, en concédant à ceux qui ne peuvent s’élever au barreau la permission de faire des vers. Pour moi, si je puis dans les plaidoiries montrer quelque talent et faire quelque tentative hasardeuse, c’est en récitant mes tragédies que j’ai pu préluder à ma renommée, alors que, dans ma pièce de Néron, j’ai brisé cette puissance barbare qui profanait même le culte sacré des Muses. Et aujourd’hui, s’il m’est resté quelque nom, quelque célébrité, je crois devoir cette gloire plus aux vers qu’à des plaidoyers. Déjà j’ai résolu de me séquestrer des travaux du forum. Ces cortèges, ces visites, cette foule de gens qui saluent, je ne les désire pas plus que ces bronzes et ces images qui, même malgré moi, ont envahi ma demeure. En effet, la position d’un citoyen, sa sécurité, n’a-t-elle pas pour sûr garant son innocence plutôt que son éloquence ? et je ne crains pas d’avoir jamais à porter la parole devant le sénat, si ce n’est pour le péril d’autrui.

XII. Les forêts, les bocages, leur solitude, ridiculisés par Aper, me donnent une si parfaite volupté, que je compte parmi les plus dignes prix de la poésie, qu’elle ne s’inspire pas au milieu du bruit, avec un plaideur qui assiège notre porte, ni dans le deuil et les larmes des accusés ; mais l’âme se retire en des lieux purs et innocens, et elle y jouit de sa retraite sacrée : tel fut le berceau de l’éloquence, tel est son sanctuaire. Ce fut d’abord sous cette forme, sous cette parure, que, charmant les mortels, elle s’infiltra dans des cœurs chastes et qu’aucun vice n’avait souillés : ainsi parlaient les oracles. Car, cette éloquence lucrative et sanglante, l’usage en est ré-