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d’une indulgence que je n’eusse pas demandée, si je n’avais à parcourir des temps si cruels et si funestes aux vertus.

II. Nous apprenons qu’alors Arulenus Rusticus, pour avoir fait l’éloge de Pétus Thraseas, Herennius Sénécion, celui de Priscus Helvidius, furent mis à mort, et que l’on sévit non-seulement contre les auteurs, mais même contre leurs écrits, l’ordre ayant été donné aux triumvirs de brûler dans les comices, au forum, ces monuments des plus illustres génies. Sans doute, on pensait étouffer à jamais en ces flammes, et la voix du peuple romain, et la liberté du sénat, et la conscience du genre humain. Déjà étaient expulsés ceux qui enseignaient la sagesse, relégué en exil tout art libéral, de peur que désormais rien d’honorable pût se présenter. Certes, nous avons donné un prodigieux exemple de patience, et si les siècles précédents ont vu ce qu’il y a d’extrême dans la liberté, nous avons vu, nous, ce qu’il y a d’extrême dans la servitude, alors qu’on nous épiait pour nous ôter tout usage de parler et d’entendre. L’on nous eût même ravi le souvenir avec la parole, s’il nous eût été possible d’oublier aussi bien que de nous taire.

III. Maintenant enfin nous commençons à respirer : et quoique dès l’aurore du siècle le plus fortuné Nerva César ait associé des choses jadis incompatibles, l’autorité d’un seul et la liberté ; quoique chaque jour Trajan, son fils adoptif, rende le gouvernement plus facile, et que la sécurité publique ne soit plus un espoir, un vœu, mais la certitude et l’accomplissement de ce vœu même ; cependant, par la nature de la faiblesse humaine, les