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de cinq ans ! Et comment prévoir quels changements pouvait apporter un si long avenir dans les intentions, dans les familles, dans les fortunes ? Entre désigné un an d’avance suffisait pour enfler l’orgueil ; que ne feraient pas cinq ans d’honneurs anticipés ? Ce serait enfin quintupler le nombre des magistrats, et renverser les lois qui fixaient une durée aux poursuites des prétendants, à la recherche et à la possession des dignités. »

XXXVIII. Par ce langage, populaire en apparence, Tibère sut retenir le pouvoir dans ses mains. Il augmenta le revenu de quelques sénateurs ; ce qui fit paraître plus étonnante la dureté avec laquelle il reçut la prière de M. Hortalus, jeune noble d’une pauvreté bien connue. Hortalus était petit-fils d’Hortensius l’orateur. Auguste, par le présent d’un million de sesterces[1], l’avait engagé à se marier, afin de donner des rejetons à une famille illustre, qui allait s’éteindre. Ses quatre fils étaient debout à la porte du sénat, assemblés dans le palais. Quand son tour d’opiner fut venu, il se leva, et, portant ses regards tantôt sur l’image d’Hortensius, placée entre les orateurs, tantôt sur celle d’Auguste : « Pères conscrits, dit-il, ces enfants, dont vous voyez le nombre et le jeune âge, si je leur ai donné le jour, c’est uniquement par le conseil du prince ; et mes ancêtres, après tout, méritaient d’avoir des descendants : car pour moi, à qui l’inconstance du sort n’a permis de recevoir ou d’acquérir ni les richesses, ni la faveur du peuple, ni l’éloquence, ce patrimoine de notre maison, il me suffisait que ma pauvreté ne fût ni honteuse à moi-même, ni à charge à personne. L’empereur m’ordonna de prendre une épouse ; j’obéis. Voilà les rejetons et la postérité de tant de consuls, de tant de dictateurs ! Et ce langage n’est point celui du reproche ; c’est à votre pitié seule que je l’adresse. Ils obtiendront, César, sous ton glorieux empire, les honneurs qu’il te plaira de leur donner : en attendant, défends de la misère les arrière-petits-fils de Q. Hortensius, les nourrissons du divin Auguste. »

XXXVIII. Le sénat paraissait favorable : ce fut une raison pour Tibère de s’opposer plus vivement ; ce qu’il fit à peu près en ces termes : « Si tous les pauvres s’habituent à venir ici demander de l’argent pour leurs enfants, la république s’épuisera sans rassasier jamais les particuliers. Quand nos ancêtres

  1. Cette somme répondait, sous Tibère, à 194 835 fr. 61 cent.