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beaucoup même qui ne l’étaient pas, furent laissés à Vérone ; on crut que les cohortes, la cavalerie et l’élite des légionnaires seraient assez, au point où en était la guerre. La onzième légion venait de rejoindre, d’abord indécise, maintenant inquiète à la vue d’un succès où manquait sa présence. Six mille Dalmates de nouvelle levée l’accompagnaient. Poppéus Silvanus, lieutenant consulaire, avait le titre de chef ; l’âme des conseils était Annius Bassus, commandant de la légion. Silvanus, officier nonchalant, consumait en paroles les jours de l’action. Annius le gouvernait, en feignant de lui complaire, et veillait à toutes les opérations avec une paisible activité. Les soldats de la flotte de Ravenne sollicitaient le service légionnaire ; on incorpora les meilleurs dans les troupes en marche, et des Dalmates les, remplacèrent sur la flotte. L’armée et les chefs s’arrêtèrent au lieu appelé Fanum-Fortunae23, irrésolu sur le parti qu’ils devaient prendre. On entendait dire que les cohortes prétoriennes étaient parties de Rome, et on croyait les passages de l’Apennin déjà occupés. De plus, on était dans un pays ruiné par la guerre ; et la disette, jointe aux cris séditieux des soldats qui demandaient le clavarium24 (c’est une sorte de gratification), effrayait les généraux. Ils ne s’étaient pourvus ni d’argent ni de vivres ; la précipitation d’ailleurs et l’avidité détruisaient les ressources, en pillant ce qu’on aurait pu se faire donner.

23. Maintenant Fano, près de la mer, entre Rimini et Ancône.
24. Cette gratification avait pour origine ou pour prétexte de donner aux soldats de quoi payer les clous nécessaires à leur chaussure.

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Un fait, dont j’ai les garants les mieux accrédités, prouve avec quel mépris les vainqueurs se jouaient des plus saintes lois de la nature. Un soldat de cavalerie vint déclarer qu’il avait tué son frère à la dernière bataille, et demanda sa récompense. La morale ne permettait pas aux chefs d’honorer un tel meurtre, ni la politique de le punir. Le soldat fut ajourné, comme méritant un prix trop haut pour être acquitté sur l’heure : on ne dit rien de la suite. Au reste, ce n’était pas la première guerre civile où se fût commis un pareil forfait. Dans le combat soutenu contre Cinna, au pied du Janicule, Sisenna raconte qu’un soldat de Pompéius tua son frère, et qu’après s’être aperçu du coup qu’il avait fait il se tua lui-même : tant le repentir du crime, aussi bien que la gloire de la vertu, était plus vivement senti chez nos ancêtres. Ces