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DE SIAM. Livre III.

matra, qui nous parut toûjours couverte d’une groſſe brume[1] noire & épaiſſe, & d’où le ſoir nous voyions ſortir à tout moment de grands éclairs. Les tonnerres y ſont fréquens & terribles. Il en fit un coup entre autres ſi fort & ſi éclatant, que pluſieurs le prirent pour un coup de canon, & qu’il fit baiſſer la tête à quelques-uns, comme pour éviter le boulet. Enfin un bon Grain[2] nous tira d’affaires, nous fit doubler l’Iſle & nous porta vers la côte de Java. Quand nous nous fûmes ſaiſis de cette terre, nous avançâmes peu à peu, en moüillant si-tôt que le vent nous abandonnoit.

Les Javans viennent à bord dans leurs petits Bateaux.

Cependant il venoit à toute heure à bord une infinité de Canots de Javans, qu’ils appellent Praux. Ces Bâteaux ſont faits d’une ſeule piéce de bois creusé ; & on en voit de ſi petits, qu’à peine peuvent-ils contenir leur homme aſſis. Nous étions tout étonnez, de voir ces pauvres gens s’expoſer ainſi à paſſer pluſieurs lieuës de Mer, dans des Bâteaux ſi fragiles, avec leſquels ils fendoient les flots & avançoient à une vîteſſe incroyable, pour nous apporter des rafraîchiſſemens. Et parce que ces Praux naviguent tout autrement que les autres Canots, j’en ay voulu ajoûter la Figure d’un qui eſt à la voile dans la rade de Bantam.

  1. Brume eft un brouillard ſombre.
  2. Grain eſt un petit vent frais qui dure peu.