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pour les faire. La première ordination dans le pays fut celle de M. Allet, venu diacre, en 1657, et fait prêtre en 1659 ; la Seconde, celle de M. de Bernières, un jeune noble que Mgr de Laval avait amené avec lui ; la troisième fut celle de M. Morin, le fils d’un habitant.

En présence de ces faits, qu’il n’était pas permis à M. Sulte d’ignorer, comment a-t-il pu attribuer aux Canadiens une demande qui eût été le comble du ridicule, une véritable insanité ? Ici comme ailleurs, c’est l’auteur qui divague : « On demande un clergé national » ; mais le marmot qui trépigne, grimace et demande qu’on lui livre la lune reflétée dans l’eau, n’est ni plus naïf, ni plus sottement impérieux que cela.

Voici comment M. Sulte entre en matière, dans cet étonnant chapitre x :

« Notre clergé, dit-on souvent, a fait œuvre nationale et les Canadiens lui doivent de la reconnaissance. Ceci est parfaitement conforme à l’opinion de tous les gens éclairés ; mais la masse des lecteurs ne se doute peut-être pas de la distinction qu’il y a à faire entre notre clergé et le clergé français du dix-septième siècle. Confondre les Jésuites, par exemple, avec les prêtres canadiens, c’est prendre de l’eau pour du feu — sans compter que durant le dix-septième siècle, nous n’avons pas eu de clergé canadien, grâce aux Jésuites. »

J’ai déjà dit que je ne veux pas faire la critique de l’ouvrage de M. Sulte, je n’en ai pas le temps ; encore moins voulais-je m’occuper de son style : on a trop usé et abusé de cette mesquine et fausse critique, pour que je veuille seulement avoir l’air de m’en occuper. D’ailleurs, je dois rendre cette justice à M. Sulte que, d’ordinaire, il écrit correctement, avec verve, et que sa phrase est généralement assez bien tournée ; mais dans cette malheureuse Histoire à lui, le dévergondage des idées déteint sur la diction. Au reste, c’est inévitable. Quelle tournure baroque, dans le passage plus haut cité, par exemple : « prendre de l’eau pour du feu » ; c’est un artifice de langage qui n’avait pas encore pris place parmi les figures de rhétorique connues jusqu’à ce jour ; mais quand on ajoute que c’est absolument comme si on confondait « les Jésuites, avec les prêtres canadiens, » alors la parole écrite cesse d’être un moyen de communication facile entre l’écrivain et le lecteur. Les écarts de tous genres, qui rendent tout-à-fait absurde le livre de M. Sulte, faisaient dire, à un correspondant de la Vérité, que cet ouvrage est tracé « à coups de pioche » : je trouve le mot heureux et très graphique.

Le rôle des Jésuites n’a pas été différent du rôle des autres congrégations religieuses et du clergé séculier, soit français, soit canadien, dans le pays. Seulement, les Jésuites ont eu à traverser la période la plus difficile de notre histoire ; ils ont pris une part immense aux travaux et aux luttes des temps héroïques du Canada. Ils ont laissé, aux cailloux et aux ronces du dur chemin qu’il a fallu parcourir, les lambeaux