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jadis établi et ils ont gardé une coutume touchante, pour témoigner leur reconnaissance à l’Église et à leurs pasteurs. Au retour de la chasse, chaque chasseur choisit avec soin la plus belle peau de marte de la saison, pour en faire cadeau aux Pères. Ces peaux de choix s’appellent des martes de missionnaires ; il n’y a pas, sous le soleil, plus belle et plus soyeuse fourrure que ça. J’ai rencontré, à Betsiamitz, un traiteur juif qui s’en montrait très jaloux ; un peu plus, il s’en serait déclaré tout à fait scandalisé : ce qui ne dérangeait guère le Père Arnaud, qui recommandait à ses sauvages de ne pas aller à la pointe, de l’autre côté de la baie, où on leur offrait à boire de la matsinipi, mauvaise eau. Le Juif s’en vengeait, en parlant mal de ce qu’il appelait la trinité de Betsiamitz, composée du Père Arnaud, de M. Fortescue, le commis de la compagnie de la baie d’Hudson, et de Jean-Baptiste Estlo, le chef des sauvages de l’endroit, contre lesquels il promettait de préparer un document, que l’on découvrira sans doute quelque bon jour. J’ajoute que j’ai eu le plaisir de voir déguerpir ce digne ennemi des missionnaires ; il emportait, avec sa mauvaise eau, la bonne eau qu’il avait mise dedans, pour en augmenter la quantité.

Un mot de cette question de la traite qu’on jette sans cesse en pâture à la méchanceté et à la sottise, à propos des Jésuites : c’est un lieu commun qu’inspirent la haine, la mauvaise foi, l’ignorance, l’étourderie ou quelque autre misère morale ou intellectuelle. Dire que les Jésuites ont fait le commerce des fourrures, c’est mentir à l’histoire ; mais les Jésuites, comme d’autres missionnaires, du reste, et tous les habitants des pays sauvages, ont quelquefois été par la nécessité, dans l’intérêt de leurs néophytes et pour le soutien de leurs missions, obligés de faire des échanges, de traiter avec les aborigènes : c’était une manière de subvenir aux besoins matériels de la condition qui leur était faite, manière dont ils n’ont jamais abusé, ni même usé quand ils ont pu l’éviter.

Mais là ne gît pas la question, qui consiste exclusivement à savoir si, dans l’espèce, la chose était licite. Il ne saurait exister le moindre doute sur la légitimité d’actes de ce genre. La loi naturelle y autorise, la loi de grâce y autorise : saint Paul dit aux Corinthiens : « Si nous avons semé en vous des biens spirituels, est-ce une grande chose que nous moissonnions de vos biens temporels. » La loi révélée dit : « Vous ne lierez point la bouche au bœuf qui foule les grains. »

Ce que les Jésuites, comme tout le monde, tenaient de droit inhérent, de la loi de nécessité, de la loi naturelle, de la loi révélée et de la loi de grâce, on le leur avait reconnu, de droit positif, dans le pays, afin de les soustraire aux tracasseries de la bureaucratie et aux attaques de la rapacité. Dans les arrangements survenus à l’arrêté de 1645, relatif à