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TABLEAU DE LA FRANCE


Il y a dans les mœurs communes du Dauphiné une vive et franche simplicité à la montagnarde, qui charme tout d’abord. En montant vers les Alpes surtout, vous trouverez l’honnêteté savoyarde[1], la même bonté, avec moins de douceur. Là, il faut bien que les hommes s’aiment les uns les autres ; la nature, ce semble, ne les aime guère[2]. Sur ces pentes exposées au nord, au fond de ces sombres entonnoirs où siffle le vent maudit des Alpes, la vie n’est adoucie que par le bon cœur et le bon sens du peuple. Des greniers d’abondance fournis par les communes suppléent aux mauvaises récoltes. On bâtit gratis pour les veuves, et pour elles d’abord[3]. De là partent des émigrations annuelles. Mais ce ne sont pas seulement des maçons, des porteurs d’eau, des rouliers, des ramoneurs, comme dans le Limousin, l’Auvergne, le Jura, la Savoie ; ce sont surtout des instituteurs ambulants[4] qui descendent tous les hivers des montagnes de Gap et d’Embrun. Ces maîtres d’école s’en vont par Grenoble dans le Lyonnais, et de l’autre côté du Rhône. Les familles les reçoivent volontiers ; ils enseignent les enfants et aident au ménage. Dans les plaines du Dauphiné, le paysan, moins bon et moins

  1. Cette simplicité, ces mœurs presque patriarcales, tiennent en grande partie à la conservation de traditions antiques. Le vieillard est l’objet du respect et le centre de la famille, et deux ou trois générations exploitent souvent ensemble la même ferme. — Les domestiques mangent à la table des maîtres. — Au 1er novembre (c’est le misdu de Bretagne), on sert pour les morts un repas d’œufs et de farines bouillies ; chaque mort a son couvert. Dans un village, on célèbre encore la fête du soleil, selon M. Champollion. — On retrouve en Dauphiné, comme en Bretagne, les brayes celtiques.
  2. Malgré la pauvreté du pays, leur bon sens les préserve de toute entreprise hasardeuse. Dans certaines vallées on croit qu’il existe de riches mines ; mais une vierge vêtue de blanc en garde l’entrée avec une faux.
  3. Quand une veuve ou un orphelin fait quelque perte de bétail, etc. on se cotise pour la réparer.
  4. Sur quatre mille quatre cents émigrants, sept cents instituteurs. (Peuchet.)