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TABLEAU DE LA FRANCE


Leur vie morale et leur poésie, à ces hommes de la frontière, du reste raisonneurs et intéressés[1], c’est la guerre. Qu’on parle de passer les Alpes ou le Rhin, vous verrez que les Bayards ne manqueront pas au Dauphiné, ni les Ney, les Fabert, à la Lorraine. Il y a là, sur la frontière, des villes héroïques où c’est de père en fils un invariable usage de se faire tuer pour le pays[2]. Et les femmes s’en mêlent souvent comme les hommes[3]. Elles ont dans toute cette zone, du Dauphiné aux Ardennes, un courage, une grâce d’amazones, que vous chercheriez en vain partout ailleurs. Froides, sérieuses et soignées dans leur mise, respectables aux étrangers et à leurs familles, elles vivent au milieu des soldats et leur imposent. Elles-mêmes, veuves, filles de soldats, elles savent ce que c’est que la guerre, ce que c’est que de souffrir et mourir ; mais elles n’y envoient pas moins les leurs, fortes et résignées ; au besoin elles iraient elles-mêmes. Ce n’est pas seulement la Lorraine qui sauva la France par la main d’une femme : en Dauphiné, Margot de Lay défendit Montélimart, et Philis La Tour-du-Pin. La Charce ferma la frontière au duc de Savoie (1692). Le génie viril des dauphinoises a souvent exercé sur les hommes une irrésistible puissance : témoin la fameuse madame Tencin, mère de d’Alembert ; et cette blanchisseuse de Grenoble qui, de mari en mari, finit par épouser le roi de Pologne ; on la chante encore dans le pays avec Melusine et la fée de Sassenage.

  1. App., 27.
  2. La petite ville de Sarrelouis, qui compte à peine cinq mille habitants, a fourni en vingt années cinq ou six cents officiers et militaires décorés, presque tous morts au champ de bataille.
  3. On conserve, au Musée d’artillerie, la riche et galante armure des princesses de la maison de Bouillon.