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TABLEAU DE LA FRANCE


grands événements sont les luttes de la liberté religieuse. Tandis que le Languedoc recule devant la mer, la Provence y entre, elle lui jette Marseille et Toulon ; elle semble élancée aux courses maritimes, aux croisades, aux conquêtes d’Italie et d’Afrique.

La Provence a visité, a hébergé tous les peuples. Tous ont chanté les chants, dansé les danses d’Avignon, de Beaucaire ; tous se sont arrêtés aux passages du Rhône, à ces grands carrefours des routes du Midi[1]. Les saints de Provence (de vrais saints que j’honore) leur ont bâti des ponts[2], et commencé la fraternité de l’Occident. Les vives et belles filles d’Arles et d’Avignon, continuant cette œuvre, ont pris par la main le Grec, l’Espagnol, l’Italien, leur ont, bon gré mal gré, mené la farandole[3]. Et ils n’ont plus voulu se rembarquer. Ils ont fait en Provence des villes grecques, moresques, italiennes. Ils ont préféré les figues fiévreuses de Fréjus[4] à celles d’Ionie ou de Tusculum, combattu les torrents, cultivé en terrasses les pentes rapides, exigé le raisin des coteaux pierreux qui ne donnent que thym et lavande.

Cette poétique Provence n’en est pas moins un rude pays. Sans parler de ses marais pontins et du val d’Olioul, et de la vivacité de tigre du paysan de Toulon, ce vent éternel qui enterre dans le sable les arbres du rivage, qui

  1. Ce pont d’Avignon, tant chanté, succédait au pont de bois d’Arles qui, dans son temps, avait reçu ces grandes réunions d’hommes, comme depuis Avignon et Beaucaire.
  2. Le berger saint Benezet reçut, dans une vision, l’ordre de construire le pont d’Avignon ; l’évêque n’y crut qu’après que Benezet eut porté sur son dos, pour première pierre, un roc énorme. Il fonda l’ordre des frères pontifes, qui contribuèrent à la construction du pont du Saint-Esprit, et qui en avaient commencé un sur la Durance.
  3. L’une des quatre espèces de farandoles que distingue Fischer s’appelle la Turque ; une autre, la Moresque. Ces noms, et les rapports de plusieurs de ces danses avec le boléro, doivent faire présumer que ce sont les Sarrasins qui en ont laissé l’usage en France.
  4. App., 22.