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Mais puis-je également ôter de ma mémoire
Qu’en demandant ma main vous souillez votre gloire ?
Je sais que Briseis a reçu votre foi,
Je lui dois les bontés que vous eûtes pour moi,
Et sur elle avec vous porter un coup si rude
C’est à la trahison joindre l’ingratitude.
Montrez ce qu’est Achille, et songez que sur vous
L’Univers qui s’étonne ouvre ses yeux jaloux.
Ne lui donnez pas lieu de dire, à votre honte,
Que le Vainqueur d’Hector souffre qu’on le surmonte,
Et que toute la gloire où je le vois monté,
N’a pu le dérober à l’infidélité.
Le triomphe est fâcheux, il est dur, difficile,
Je le crois, mais enfin il est digne d’Achille,
Et le nom de héros à vos vertus acquis,
Des efforts qu’il exige est un assez haut prix.

ACHILLE

Le conseil paroît beau, généreux, magnanime,
Mais, Madame, je vois quel intérêt l’anime.
Ce soin de satisfaire à l’univers jaloux,
Bien qu’expliqué pour moi, ne regarde que vous.
Votre cœur qui ne peut me souffrir infidèle,
Appuyant Briseis, court où l’amour l’appelle,
Et ne me peint ses feux injustement déçus,
Qu’afin de se pouvoir conserver à Pyrrhus.

POLIXÈNE

Pyrrhus, je le confesse, avoit de quoi me plaire,
Vous en avez trop su pour vouloir vous le taire.
Si le Ciel nous eut vus d’un œil moins rigoureux,
Mon bonheur dépendoit de voir Pyrrhus heureux.
Priam qui m’ordonna de répondre à sa flamme
Me fit prendre plaisir à régner sur son âme,
Patrocle étoit vivant, et l’espoir de la paix
Par une douce amorce engageoit mes souhaits.
De ses vœux empressés l’hommage trop sensible
Méritoit que mon cœur ne fût pas inflexible,
Et faut-il s’étonner s’il s’en trouva charmé ?
C’étoit un jeune cœur qui n’avoit rien aimé,