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ACTE III.



Scène I.

BRADAMANTE, DORALISE.
Bradamante.

Cesse de condamner, en me forçant de vivre,
Le juste désespoir où ma doleur me livre.
Ma mort, ma seule mort peut effacer l’affront
Qu’un revers si cruel imprime sur mon front.
Du trop heureux Léon la fatale victoire
Pour jamais, sans retour, m’a fait perdre ma gloire,
L’éclat s’en est terni si-tôt qu’il a vaincu,
Et vivant sans honneur j’ai déjà trop vécu.

Doralise.

La valeur fut toujours votre charme sensible,
Mais pour être vaillant doit-on être invincible,
Et tous ceux que la gloire aux combats fait courir,
Sont-ils, faute de vaincre, obligés de mourir ?
Si le dur poids des fers, après votre défaite,
À de honteuses loix vous laissoit voir sujette,
Je plaindrois vos malheurs ; &, dans ce triste sort,
Il vous seroit permis de souhaiter la mort.
Mais, Madame, Léon, par plus d’une victoire
A fait voir quelle part il avoit à la gloire ;
Et vous pouvez, sans honte, avouer un vainqueur,
Qui n’aspire jamais qu’à toucher votre cœur.
Loin d’abuser des droits que ce grand nom lui donne,
Il se soumet à vous, vous offre une couronne ;