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Le destin qui m’abat n’eût osé me poursuivre,
Si le ciel m’eût pour vous rendu digne de vivre.
Ce malheur me fait seul mériter le trépas,
Il en donne l’arrêt, je n’en murmure pas.
Je cours l’exécuter, quelque dur qu’il puisse être,
Trop content si ma mort vous fait assez connoître,
Que jusques à ce jour jamais cœur enflammé
N’avoit, en se donnant, si fortement aimé.

La Duchesse.

Si cet amour fut tel que je l’ai voulu croire,
Je le connoîtrai mieux, quand tout à votre gloire
Dérobant votre tête à vos persécuteurs,
Vous vivrez redoutable à d’infames flatteurs.
C’est par le souvenir d’une ardeur si parfaite,
Que tremblant des périls où mon malheur vous jette,
J’ose vous demander, dans un si juste effroi,
Que vous sauviez des jours que j’ai comptés à moi.
Douceur trop peu goûtée, & pour jamais finie !
J’en faisois vanité, le ciel m’en a punie.
Sa rigueur s’étudie assez à m’accabler,
Sans que la vôtre encor cherche à la redoubler.

Le Comte.

De mes jours, il est vrai, l’excès de ma tendresse,
En vous les consacrant, vous rendit la maîtresse.
Je vous donnai sur eux un pouvoir absolu,
Et vous l’auriez encor si vous l’aviez voulu.
Mais dans uns disgrace en mille maux fertile,
Qu’ai-je affaire d’un bien qui vous est inutile ?
Qu’ai-je à faire d’un bien que le choix d’un époux
Ne vous laissera plus regarder comme à vous ?
Je l’aimois pour vous seule, & votre hymen funeste,
Pour prolonger ma vie, en a détruit le reste.
Ah, Madame, quel coup ! Si je ne puis souffrir
L’injurieux pardon qu’on s’obstine à m’offrir,
Ne dites point, hélas ! que j’ai l’ame trop fiere ;
Vous m’avez à la mort condamné la premiere ;
Et refusant ma grace, amant infortuné,
J’exécute l’arrêt que vous avez donné.