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S’il n’a point de vrai crime, ainsi qu’on le veut croire,
Sur le crime apparent je sauverai ma gloire,
Et la raison d’état, en le privant du jour,
Servira de prétexte à la raison d’amour.

La Duchesse.

Juste ciel ! Vous pourriez-vous immoler sa vie ?
Je ne me repens point de vous avoir servie ;
Mais, hélas ! Qu’ai-je pû faire plus contre moi,
Pour le rendre à sa reine, & rejetter sa foi ?
Tout parloit, m’assuroit de son amour extrême ;
Pour mieux me l’arracher, qu’auriez-vous fait vous-même ?

Élisabeth.

Moins que vous ; pour lui seul, quoi qu’il fût arrivé,
Toujours tout mon amour se seroit conservé.
En vain de moi tout autre eût eu l’ame charmée,
Point d’hymen ; mais enfin je ne suis point aimée,
Mon cœur de ses dédains ne peut venir à bout ;
Et, dans ce désespoir, qui peut tout, ose tout.

La Duchesse.

Ah, faites-lui paroître un cœur plus magnanime,
Ma sévere vertu lui doit-elle être un crime ?
Et l’aide qu’à vos feux j’ai crû devoir offrir,
Vous le fait-elle voir plus digne de périr ?

Élisabeth.

J’ai tort, je le confesse ; &, quoi que je m’emporte,
Je sens que ma tendresse est toujours la plus forte.
Ciel, qui me réservez à des malheurs sans fin,
Il ne manquoit donc plus à mon cruel destin,
Que de ne souffrir pas dans cette ardeur fatale
Que je fusse en pouvoir de haïr ma rivale !
Ah, que de la vertu les charmes sont puissans !
Duchesse, c’en est fait, qu’il vive, j’y consens.
Par un même intérêt, vous craignez, & je tremble,
Pour lui, contre lui-même, unissons-nous ensemble,
Tirons-le du péril qui ne peut l’alarmer,
Toutes deux pour le voir, toutes deux pour l’aimer ;