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Son exil étonna son amour téméraire ;
Mais si mon intérêt le força de se taire,
Son cœur dont la contrainte irritoit les desirs,
Ne m’en donna pas moins ses plus ardens soupirs.
Par moi qui l’usurpai vous en fûtes bannie,
Je vous nuisis, Madame, & je m’en suis punie.
Pour vous rendre les vœux que j’osois détourner,
On demanda ma main, je la voulus donner ;
Éloigné de la cour, il sut cette nouvelle,
Il revient furieux, rend le peuple rebelle,
S’en va suivre au palais dans le moment fatal
Que l’hymen me livroit au pouvoir d’un rival ;
Il venoit l’empêcher, & c’est ce qu’il vous cache.
Voilà par où le crime à sa gloire s’attache ;
On traite de révolte un fier emportement,
Pardonnable peut-être aux ennuis d’un amant.
S’il semble un attentat, s’il en a l’apparence,
L’aveu que je vous fais prouve son innocence.
Enfin, Madame, enfin par tout ce qui jamais
Pût surprendre, toucher, enflammer vos souhaits,
Par les plus tendre vœux dont vous fûtes capable,
Par lui-même, pour vous l’objet le plus aimable,
Sur des témoins suspects qui n’ont pû l’étonner,
Ses juges à la mort l’ont osé condamner.
Accordez-moi ses jours pour prix du sacrifice
Qui, m’arrachant à lui, vous a rendu justice ;
Mon cœur en souffre assez pour mériter de vous
Contre un si cher coupable un peu moins de courroux.

Élisabeth.

Ai-je bien entendu ? Le perfide vous aime,
Me dédaigne, me brave, & contraire à moi-même,
Je vous assurerois, en l’osant secourir,
La douceur d’être aimée, & de me voir souffrir ?
Non, il faut qu’il périsse, & que je sois vengée,
Je dois ce coup funeste à ma flamme outragée,
Il a trop mérité l’arrêt qui le punit,
Innocent ou coupable, il vous aime, il suffit.