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Scène VI.

ÉLISABETH, LE COMTE D’ESSEX, LA DUCHESSE, TILNEY.
Élisabeth.

Comte, j’ai tout appris, & je vous parle instruite
De l’abîme où vous jette une aveugle conduite ;
J’en sai l’égarement, & par quels intérêts
Vous avez jusqu’au trône élevé vos projets.
Vous voyez qu’en faveur de ma premiere estime,
Nommant égarement le plus énorme crime,
Il ne tiendra qu’à vous que de vos attentats
Votre reine aujourd’hui ne se souvienne pas.
Pour un si grand effort qu’elle offre de se faire,
Tout ce qu’elle demande est un aveu sincere.
S’il fait peine à l’orgueil qui vous fit trop oser,
Songez qu’on risque tout à me le refuser,
Que quand trop de bonté fait agir ma clémence,
Qui l’ose dédaigner doit craindre ma vengeance,
Que j’ai la foudre en main pour qui monte trop haut,
Et qu’un mot prononcé vous met sur l’échafaud.

Le Comte.

Madame, vous pouvez résoudre de ma peine.
Je connois ce que doit un sujet à sa reine,
Et sai trop que le trône où le ciel vous fait seoir,
Vous donne sur ma vie un absolu pouvoir.
Quoi que d’elle par vous la calomnie ordonne,
Elle m’est odieuse, & je vous l’abandonne.
Dans l’état déplorable où sont réduits mes jours,
Ce sera m’obliger que d’en rompre le cours ;
Mais ma gloire qu’attaque une lâche imposture,
Sans indignation, n’en peut souffrir l’injure.